La Gazette des Communes – En finir avec la ville sexiste!

DOSSIER La Gazette – 8 janvier 2018

RÉALISÉ PAR ISABELLE VERBAERE
Donnons à la femme sa place dans la ville !
L’espace public conçu par des hommes, pour les hommes

SAMSUNG

Pascale Lapalud

La parole se libère ! Dans le sillage de l’affaire « Weinstein », du nom d’un producteur de cinéma hollywoodien accusé de viol par plusieurs actrices, des milliers de Françaises ont témoigné ces derniers mois des interpellations salaces, voire des agressions sexuelles, qu’elles subissent, notamment dans l’espace public. Les utilisatrices des transports en commun confient à 100 % en avoir été victimes au moins une fois dans leur vie, révèle une enquête réalisée en 2015 par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Ces violences sont désormais prises au sérieux. Le gouvernement présentera cette année au Parlement un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles. Il devrait comprendre la verbalisation du harcèlement de rue. « L’objectif de ce projet de loi est de donner une place égale entre les femmes et les hommes dans l’espace public », précise le secrétariat d’Etat chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes sur son site internet. Soit. Mais le harcèlement est un peu l’arbre qui cache la forêt. « Se focaliser sur la sécurité empêche de penser aux autres inégalités dans l’espace public, et en particulier à celles liées à l’aménagement », indique Pascale Lapalud, urbaniste, cofondatrice de la plateforme d’innovation urbaine Genre et Ville. La politique d’éclairage, le choix de l’emplacement des arrêts d’autobus, la qualité de la signalisation, l’offre d’équipements de loisirs ou de toilettes sont autant de facteurs susceptibles de pénaliser les femmes. D’abord, parce que ces aménagements peuvent aggraver le sentiment d’insécurité qu’elles ressentent à l’extérieur. Ainsi, 74 % des Bordelaises déclarent fuir certains endroits publics par peur de, d’insultes ou d’intimidations, selon l’observatoire bordelais de l’égalité (enquête 2014-2015).
La métropole Rouen Normandie (71 communes, 489 900 hab.) a réalisé un comptage genré des piétons qui empruntent les ponts enjambant la Seine. « Nous avons été stupéfaits de découvrir qu’il n’y a pratiquement que des hommes sur le pont Guillaume-le-
Conquérant, souligne Bertrand Masson, directeur de l’aménagement et des grands projets. Cette constatation a été un peu le déclencheur de notre réflexion sur le genre dans l’espace public [lire p. 08]. »

Une question de légitimité

L’aménagement creuse aussi les inégalités lorsqu’il conforte les femmes dans l’idée qu’elles ne sont pas légitimes dans l’espace public. C’est ce que révèlent les analyses menées par Genre et Ville au sein du collectif Les Monumentales, place de la Madeleine à Paris. Ce travail est effectué dans le cadre du projet de reconquête de sept places engagé par la capitale.
Le genre est l’un des critères du cahier des charges. « Nous avons réalisé une étude très fine des pratiques des femmes à la pause déjeuner, poursuit Pascale Lapalud. La plupart mangent en groupe. Seules, elles adoptent une position de repli : assises sur un banc, de préférence installées le long d’une grille ou d’un mur pour ne pas être surprises par quelqu’un qui arriverait par-derrière. Jambes croisées, elles pianotent sur leur smartphone. Les hommes ont une posture beaucoup plus ouverte : assis les jambes écartées, ils regardent les voitures et les femmes. On l’appelle la position du ravi ! »

Dès la cour de l’école

Ces comportements sexués, codifiés au XIXe siècle avec l’avènement de la bourgeoisie, apparaissent dès la cour de l’école. « Dans beaucoup d’établissements, les garçons s’approprient jusqu’à 80 % de l’espace pour jouer au foot à chaque récréation, observe Edith Maruéjouls, géographe et créatrice du bureau d’études l’ARObE recherche observatoire égalité à Bordeaux.
Cette pratique est légitimée par les adultes. Elle inscrit ainsi dans la tête de ceux qui ne jouent pas et sont relégués en périphérie, surtout dans celles des filles, qu’il existe des lieux interdits qu’il faut apprendre à éviter. » Résultat, au collège, vers 12, 13 ans, les filles décrochent de l’espace public. Les garçons sont les usagers majoritaires de la ville, en particulier des équipements
de loisirs. « Dans les 20 disciplines les plus pratiquées dans les clubs sportifs, 70 % des adhérents sont des garçons, développe Edith Maruéjouls. Une inégalité accentuée par l’attribution des budgets par les collectivités. Les aménagements de type terrain de foot, city stade, skate parc, essentiellement utilisés par les hommes, représentent 80 % des dépenses d’équipements sportifs publics. » article complet dans le numéro 1/2307 de la Gazette des Communes

Témoignage Rémy le Floch chargé de mission « égalité » de la ville de Lyon (506 600 hab.)

« La formation des équipes pédagogiques est essentielle »

« Dans le cadre de la réhabilitation des cours de plusieurs écoles primaires, en 2013, les élèves, interrogés sur leurs attentes, ont pointé des inégalités dans l’usage de ces espaces. Selon les établissements, des marquages au sol, une cabane, un petit jardin, des tours d’arbres en bois, une pelouse synthétique ont notamment été installés. La mission “égalité“ a évalué l’impact de ces aménagements sur la mixité dans la cour. Le bilan est positif : ils ont permis de réduire la place du football, considéré comme un vecteur de monopolisation de l’espace par les garçons. Ces équipements sont utilisés autant par les filles que les garçons, même s’ils sont rarement ensemble. L’introduction de nouveaux jeux, non marqués par un genre, qui favorisent la motricité et l’imagination, est apparue comme une condition favorable à la mixité. Toutefois, les installations, même bien pensées, ne suffisent pas à garantir l’égalité d’accès et la mixité des usages. La formation des équipes pédagogiques est essentielle.
Pour inscrire durablement ces constats, nous travaillons sur une fiche pratique destinée aux aménageurs et aux équipes éducatives

Brive (Corrèze) 47 000 hab.

Une recherche-action pour identifier les stéréotypes sexistes et les combattre.

La commune a signé la charte européenne pour l’égalité femmes-hommes dans la vie locale en 2013. Depuis, elle a lancé différents projets pour la faire vivre. « Nous avons lancé une recherche action sur la place des filles dans l’espace public et les activités de loisirs dans les trois quartiers de la politique de la ville, expose Marie-Claire Lacaze, directrice des actions transversales. Nous avons contacté nos collègues du service des sports, de la culture et des centres socioculturels pour obtenir des statistiques et nous nous sommes aperçus que les données genrées ne sont pas exploitées. Nous avons sollicité l’association Genre et Ville qui a mené une enquête sur le terrain entre octobre 2016 et novembre 2017. »
Quatre sociologues et urbanistes ont monté des ateliers avec des enfants âgés de 8 à 15 ans pour aborder différentes questions : quelles activités exercent-ils ? A quels moments ? Ont-ils des activités mixtes ?… L’occasion, aussi, de les sensibiliser aux stéréotypes. « Les expertes ont également mis en place des marches sensibles avec des groupes mixtes d’ados pour explorer le quartier et identifier leur utilisation de l’espace public », poursuit Marie-Claire Lacaze.
Les résultats de cette action montrent une répartition différente des filles et des garçons dans les activités de loisirs et l’espace public. « Quand les filles commencent à avoir des formes, à la puberté, elles disparaissent des activités sportives de groupe », commente Sandrine Maurin, adjointe au maire, chargée de la cohésion sociale. La sensibilisation des personnels à la prise en compte des questions d’égalité femmes-hommes, de mixité dans leur pratique professionnelle, semble essentielle.
Nous allons mener une action plus ciblée sur ce thème en 2018 avec un centre de loisirs dont les agents sont volontaires pour revisiter
leurs représentations. »
Contact Marie-Claire Lacaze,

Article complet dans le numéro 1/2307 de la Gazette des Communes