Une critique salutaire de Samuel Gontier de Télérama

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Discussion constructive dans un café à Villiers le Bel, femmes et hommes échangent pour la présence de femmes dans les cafés – Juillet 2016

Retrouvez ici l’excellente critique de Samuel Gontier sur le reportage de France 2 à propos des zones de non droits pour les femmes dans les quartiers populaires.  Reportage qui stigmatise les quartiers et l’islam en ne montrant qu’un aspect de la domination masculine dans l’espace public.  Ce que montre le reportage, existe, nous ne le nions pas, nous y travaillons avec nos partenaires.  Pour autant, la domination masculine est structurelle et n’est pas, loin de la, le seul apanage des quartiers populaire ni d’une culture catégorisée musulmane.  A Genre et Ville, nous sommes très attentives/ifs à ne pas offrir d’images dévalorisantes ou stigmatisantes des quartiers populaires, où il se passe aussi des choses magnifiques avec des gens magnifiques.

Grand remplacement sur France 2 et tapis rouge à Le Pen sur BFM

« L’enquête qui dérange, pavoise David Pujadas. Sur un sujet délicat, souvent passé sous silence. » Mercredi, le 20 heures de France 2 brise l’omerta. « Il a été mis en lumière par la secrétaire d’Etat aux droits des femmes, Pascale Boistard », dont une citation apparaît à l’écran : « Il y a sur notre territoire des zones où les femmes ne sont pas acceptées. »

« De quoi s’agit-il ?, s’auto-questionne le présentateur. D’une révolution discrète. » Carrément, une révolution. « Se promener seule en jupe, prendre un café sur une terrasse… Des associations alertent sur ces quartiers où les femmes deviennent indésirables dans l’espace public. » « Regardez ces images. Des terrasses de café, des rues, elles ont un point commun : les femmes semblent effacées. Dans certains quartiers populaires, les hommes occupent les lieux et les femmes subissent. »

L’exclusion des femmes de l’espace public serait donc un phénomène récent, une toute neuve « révolution » limitée aux « quartiers populaires » (où se concentrent des populations issues de l’immigration, si l’on en juge par les images remplies de « minorités visibles »). Elle date pourtant du XIXe siècle : « L’aménagement des villes se met au service d’un ordre bourgeois viril, et les femmes disparaissent de l’espace public » ; « ce clivage, construit historiquement, perdure aujourd’hui », lis-je sur le site de Genre et Ville, une plateforme de recherche et d’action animée par des urbanistes, architectes, géographes, sociologues, chorégraphes, psychologues…

« Dans cette banlieue parisienne », la journaliste de France 2 suit « deux militantes de la Brigade des mères » qui « se battent pour la liberté des femmes dans ces quartiers ». « Pour nous montrer la réaction des hommes dans un bar, elles filment en caméra cachée. » Le patron et ses clients tiennent des propos effrayants : « Dans ce café, y a pas de mixité. » « On est à Sevran, pas à Paris. » « T’es dans le 93, c’est une mentalité différente, c’est comme au bled. » Dès leur diffusion, ces paroles choquantes sont largement partagées et vilipendées sur les réseaux sociaux.

« Pourquoi les hommes rejettent-ils les femmes ?, s’auto-questionne la journaliste. Un problème de tradition, de culture mais aussi de religion. » Un problème de tradition islamique, de culture islamique mais aussi de religion islamique. L’islam, voilà le responsable. Une des militantes avance une origine plus circonstanciée : « En 2005, quand il y a eu les révoltes des banlieues, on a appelé les grands frères pour calmer les jeunes, donc on a exclu la femme, la mère, les parents, qui étaient plus légitimes. On a donné la place à ces hommes qui ont pris les quartiers. »

Des grands frères (musulmans, selon la journaliste) auraient donc pris possession des quartiers en 2005 pour exclure les femmes de l’espace public. L’explication est un peu courte mais pointe judicieusement la responsabilité des pouvoirs publics dans cette exclusion : « Sous prétexte de contenir la “violence” des garçons dans la ville, on leur aménage équipements publics et sportifs alors qu’on propose aux filles de “sécuriser” les parcours urbains à grand renfort de consignes et d’injonctions », regrettent Chris Blache et Pascale Lapalud, cofondatrice de Genre et Ville, dans une tribune de Libération. Et d’ajouter : « La place des femmes comme celle des hommes dans la ville mérite d’autres dispositions que cette expression “naturaliste” des différences femmes-hommes. »

Dans le 20 heures de France 2, « pendant l’interview, une voiture s’arrête, relate la reporter. Une façon d’intimider ces femmes régulièrement menacées. » De plus en plus flippant. D’ailleurs, Jean-Marc Morandini ne manque pas de consacrer un article à cet événement — et à ses rebondissements :

Seconde étape du reportage, « dans cette banlieue de Lyon, des femmes semblent s’être résignées comme cette assistante maternelle qui fait tout pour ne pas se faire remarquer ». « On essaie de s’effacer. » « Pourquoi ? » « Parce qu’on a peur, tout simplement. » « A Rilleux-la-Pape, 20% de chômage, de nombreux commerces fermés, décrit la journaliste. Les maîtres des lieux sont de jeunes hommes. Peu de femmes dans la rue et notre caméra n’est pas la bienvenue. » Un caillou est lancé dans la direction de la caméra braquée (et zoomant) sur un groupe de jeunes auxquels je doute qu’on ait demandé l’autorisation de les filmer. Cette fois, c’est prouvé : les « maîtres des lieux » maintiennent par la terreur des territoires de la République sous le règne de la loi islamique qui interdit la présence des femmes dans l’espace public. Le « grand remplacement » est en marche, comme s’empresse de le clamer la fachosphère, arguant que même France 2 l’atteste…

A nouveau, la journaliste suit des habitantes du quartier qui « organisent des marches » pour « reprendre leur place » dans l’espace public et les débits de boisson. « La priorité de l’organisatrice, c’est de convaincre les habitantes musulmanes de participer » mais, déception, « cette fois encore, la marche n’aura séduit qu’une seule partie des femmes ». A ce moment, la caméra cadre ostensiblement une passante en niqab.

« Il n’y a pas beaucoup de femmes musulmanes, admet l’organisatrice de la marche. Elles trouvent l’idée très bien mais elles ne nous suivent pas. » « Pourquoi ? » « Ça, je sais pas, je sais pas. » Mais la réponse coule de source : parce qu’elles subissent le joug des hommes persécuteurs des femmes comme le leur recommande l’islam.

Pas question ici de nier l’existence des ségrégations dénoncées par le JT, ni de critiquer le courageux combat des femmes qui s’y opposent. Cependant, son absence de recul, de mise en perspective, d’analyse, fait de ce reportage le fidèle relais d’un discours en vogue : l’inégalité entre sexes est un problème spécifique aux quartiers populaires peuplés de musulmans. Pour compléter le reportage du 20 heures, voici trois images vues cette semaine. La première m’est apparue sur Twitter par l’intermédiaire d’un confrère du Monde :

« Les cent patrons français les plus performants » (et le jury de Challenges qui les a classés) sont-ils des musulmans habitant un « quartier populaire » de Seine-Saint-Denis pour ne tolérer aucune femme parmi eux ? S’ils ne sont certes pas des espaces publics, les bureaux des pdg (et du magazine Challenges) sont-ils des zones de non-droit où l’on refuse d’appliquer la « laïcité à la française » ?

La deuxième image en contient deux, dans une brève présentée par Jean-Pierre Pernaut lundi dernier au milieu du 13 heures de TF1. « Un mot d’une belle opération à TF1, le groupe TF1 veut mettre en valeur les expertes. L’ambition est de renforcer la représentativité des femmes expertes dans les journaux télévisés. » A l’écran, une assemblée exclusivement féminine :

Cette image devient cruelle quand apparaît le contre-champ : « Pour le président de TF1, Gilles Pélisson, que vous voyez, la mixité est une nécessité et une chance. » Je le vois.

Je vois un dirigeant, un homme blanc de plus de 50 ans, s’adresser à des subordonnées, exclusivement des femmes, pour leur expliquer que la mixité est une chance… Et je dis : c’est pas gagné.

Une dernière image, toujours sur TF1, jeudi soir dans Money Drop. Les candidats, une mère gynécologue et son fils, ont le choix entre deux thèmes : « En l’air » et « Coquine, va ! ». Sous l’impulsion du fils, ils optent pour le second et se voient proposer la question suivante. « Le premier vibromasseur, qui aurait été inventé par Cléopâtre, était un cornet de papyrus rempli : A. De petits pois. B. De grains de riz. C. D’abeilles. D. De châtaignes chaudes. »

« Vous qui êtes gynécologue, qu’est-ce que vous me conseilleriez ? », demande l’animatrice, Laurence Boccolini. En vain. Car le fiston ne la laisse pas parler, il sait mieux que sa mère ce qui pouvait contenter Cléopâtre. « C’est les abeilles, ça peut être que les abeilles qui vibrent. Des châtaignes chaudes, ça va juste te cramer. Des grains de riz, ça va gratter, et les petits pois, même chose, ça va gratter. » « Tu es sûr ? » « Y’a la gynécologue Sylvie qui fait… », intervient l’animatrice, mimant un étonnement dégoûté.

« Ça doit vibrer », insiste le jeune homme. « Tu peux le faire vibrer toi-même », rétorque sa maman, joignant le geste à la parole. « Ça pourrait être les châtaignes chaudes », insinue Laurence Boccolini. « Non, ça vibre pas. » « Mais si on secoue la châtaigne ? » « Il faut voir où il faut le secouer, c’est quand même pas évident », estime le candidat, salué par les rires du public. Qu’est-ce qu’on se marre…

En bonus, une remarque de Gilles Bouleau à son invité, Michel Sardou, toujours jeudi sur TF1 : « Vous avez écrit sur beaucoup de choses, sur le France, sur les Américains, sur la condition de la femme.… » Voilà ce qui manque aux musulmans : un Sardou pour les émanciper.

Pour terminer cette soirée de jeudi, j’ai échoué sur BFMTV. Une femme y était à l’honneur, en ouverture de tous les journaux, dans tous les débats. Voici un bref résumé de ses apparitions.

21h23. Nathalie Lévy, annonçant le programme de son émission avant une pause pub, me révèle LA nouvelle de la journée (qui m’avait jusque-là échappé) : « On reste ensemble, dans un moment on revient sur la proposition choc de Marine Le Pen : la présidente du Front national qui prône la fin de l’éducation gratuite pour les enfants étrangers en situation irrégulière. »

21h30. Après la pause pub, Nathalie Lévy réapparaît : « Deuxième partie de News et compagnie autour de la proposition de Marine Le Pen : elle prône la fin de l’éducation gratuite pour les enfants étrangers en situation irrégulière. On en parle ce soir avec nos invités. » Un représentant du FN et un du PS, un pour et un contre, ça me paraît équilibré. Mais d’abord, laissons Marine Le Pen s’exprimer.

21h58. Nathalie Lévy laisse sa place à Jean-Baptiste Boursier. « Bonsoir à tous, vous regardez Grand angle sur BFMTV, voici le programme de votre émission. Marine Le Pen ne veut plus que l’Etat paie la scolarité des enfants clandestins, c’est la première sortie choc de la candidate Front national dans la campagne présidentielle qui s’ouvre. »

21h59. Le générique de Grand angle passé, Jean-Baptiste Boursier reprend : « C’est la polémique du jour, la première vraie polémique de cette campagne présidentielle qui s’ouvre. [Rappelons que la proposition de supprimer 500 000 fonctionnaires, par exemple, fait consensus et non polémique.] Elle est née de déclarations de Marine Le Pen sur la scolarisation des enfants clandestins. Nous y reviendrons avec nos invités. » Mais d’abord, laissons Marine Le Pen s’exprimer.

22 heures. Après les propos de Marine Le Pen, Jean-Baptiste Boursier lance : « Ça y est, c’est parti, la campagne présidentielle est clairement ouverte en tout cas pour le Front national », cherchant à faire réagir Grégoire Biseau, de Libération, et Jean-Sébastien Ferjou, d’Atlantico. Un journaliste de gauche et un de droite, ça me paraît équilibré.

22h24. Avant la pause pub, Jean-Baptiste Boursier prévient : « Dans un instant, la politique, la première polémique vraiment de cette campagne présidentielle qui s’ouvre. Marine Le Pen veut la fin du principe de gratuité pour la scolarité des enfants d’étrangers clandestins. Nous allons y revenir avec un membre de la FCPE et un membre du collectif Racines qui conseille Marine Le Pen. » Un contre et un pour, ça me paraît équilibré.

22h30. Au retour de la pause pub, Jean-Baptiste Boursier déclare : « La campagne présidentielle est bel et bien lancée. Au-delà des primaires, la première proposition vraiment choc vient de Marine Le Pen. La candidate du Front national ne veut plus que l’école soit gratuite pour les enfants clandestins. » Mais d’abord, laissons Marine Le Pen s’exprimer.

23 heures. Jean-Baptiste Boursier lance un nouveau journal. « C’est la polémique du jour, elle est née des déclarations de Marine Le Pen sur la scolarisation des enfants clandestins, elle souhaite que la gratuité ne soit plus la norme. Ecoutez. » Et lisez les bandeaux déployés durant ces deux heures :
« MARINE LE PEN DURCIT LE TON »
« ENFANTS ETRANGERS : ECOLE PAYANTE ? »
« ECOLE : PROPOSITION CHOC DE M. LE PEN »
« ENFANTS CLANDESTINS : ECOLE PAYANTE ? »

Notez que le second titre a été corrigé pour réparer une erreur : les « enfants étrangers » ne sont pas tous concernés par la proposition-choc de Marine Le Pen, aussi sont-ils remplacés par « enfants clandestins ». Ce souci de rigueur honore BFMTV en même temps qu’il popularise une chouette expression. « Enfants clandestins », ça sonne bien, non ?