Cécile, exploratrice sensible à Nantes

Cécile B a été l’une des participantes aux ateliers et à la Marche Sensible qui ont eu lieu à Nantes Nord.  Suite aux ateliers, Cécile a réalisé seule plusieurs marches et en a fait des compte-rendus si riche que nous avons souhaité, avec son accord, les publier ici, inaugurant à cette occasion notre nouvelle rubrique « Bazar des Mots »

Le premier texte est une poésie, sorte de précipité des deux marches racontées ici.

Photo Cécile 7

EMOTIONS

Je n’ai pas fait que passer…

J’ai regardé, observé, scruté, photographié.

J’y ai discuté, écouté, questionné, compris ou pas peu importe.

J’y ai échangé, rencontré.

J’y ai marché, traversé, piétiné et puis je me suis arrêtée là et là et par là-bas ; juste pour voir et pour rien aussi.

J’ai marché, je me suis assise, j’ai attendu, un peu ; je me suis relevée.

Je me suis rassise là-bas, ici, ailleurs, j’y ai attendu et parfois pas.

J’ai attendu : l’inattendu.

J’ai rien ressenti là où j’aurais dû ressentir de la joie, du bruit, des rires (jeux pour enfants, en bas des tours dans les squares ou parcs).

J’ai rien entendu là où l’énergie et les rêves devraient crier (jeux pour enfants, en bas des tours dans les squares ou parcs).

J’aurais bien ressenti, écouté juste et regardé cette mosquée ; peine perdue il n’y a pas de banc.

J’y ai rien vu sur ce banc ici et ici aussi et celui-là là-bas…

Je me suis sentie enfermée, encerclée, j’ai étouffé (grilles, squares, architecture…).

J’ai touché des hurlements de colère et d’identité (graffitis).

Je m’y suis posée, j’ai senti et ressenti.

J’y ai touché, caressé et juste écouté.

Je suis passée : j’y suis restée quelques heures, j’ai expérimenté, testé, détesté, aimé et pas aimé.

Je me suis questionnée, j’aurais fait autrement ; là j’aurais eu envie que quelqu’un fasse quelque chose.

J’y ai croisé quelqu’un et je n’y ai vu personne…

J’ai pris le temps, j’y ai pris le temps et j’ai pris mon temps !

Je suis une flâneuse photographe amatrice.

Je suis une flâneuse tout court !

 

Une flâneuse. CC.B

Photo Cécile 8  Photo Cécile 9

MARCHE SENSIBLE NUMERO UNE

Quartier Nantes Nord –  Chêne des Anglais – Bout des Landes

CECILE. 27 ANS. SAINT-HERBLAIN / NON-HABITANTE.

Photo Cécile B3Je suis motivée et j’ai hâte de faire cette marche. Le projet me tient à cœur et je suis curieuse de ce qui peut ressortir de cette marche ; que vais-je expérimenter ? Qu’est-ce qui va en ressortir ? J’ai hâte. Un soir de semaine, en sortant du travail à 18h00, je prends le tram ligne 3 direction commerce ; changement – ligne 2 – direction « ma marche sensible ». La nuit tombe déjà, il est vrai qu’entre mes changements de tram il déjà plus de 18h30. Le tram est bondé mais se vide peu à peu au fur et à mesure que nous avançons sur la ligne. Un ou deux arrêts avant mon terminus « Chêne des Anglais » : la rame se vide d’un coup. En un instant le tram s’est vidé d’un seul coup. Mais où sont-ils tous passés ? Gros moment de doute et de solitude. Un peu fébrile, hésitante, j’ai comme une petite voix, une sorte de chuchotement intérieur au creux des lèvres « mais qu’est-ce que je fais là en fait ? »  « Ais-je bien fais ? »  « Mais t’es pas un peu folle sur les bords ! » Non je suis motivée. Je ne ferai pas demi-tour. « Chêne des Anglais » : je descends. Je suis arrivée au point A.

Les lampadaires et les feux de voitures éclairent mais l’environnement me paraît sombre et les lumières peu éclairantes et agressives. Je sens un légers vent froid d’hiver mais rien de notable ni en sensation ni en odeur. Par contre c’est le son qui me frappe tout de suite : le tram qui passe semble « rayer le sol ». Son bruit est strident, aigu et en même temps assourdissant. En plus du bruit des rames dans le virage (je suis bien piétonne) un bus puis un deuxième passent et font un bruit de fond un peu violent. Les voitures rajoutent une couche. Il n’y a personne : le peu de monde qui est sorti de la rame avec moi s’est comme engouffré entre les tours et a disparu. Il n’y a personnes mais un bruit (de transport principalement) « cosmopolite » semble m’avoir agrippé par les épaules et me secoue avec violence.

Photo Cécile B2J’essaye de me recentrer et veux lire le protocole. Il faut aussi que je détermine « ma peau d’emprunt » ; je pensais me décider dans le tram en y allant mais la soudaine désertion de population m’avait comme glacée le sang et détacher de mes pensées. Soit, je vais traverser, aller sur le parvis de la médiathèque, là je me choisirai un rôle et relirai protocole et itinéraire. Je veux traverser pour rejoindre le trottoir adverse : l’axe est entrecoupé de rames de tram et de voies de bus et voitures. Regarder à droite et à gauche, trams, voitures, bus…J’ai l’impression d’être sollicitée de partout, et les lumières des lampadaires, des phares…Un automobiliste s’arrête : je traverse presqu’en courant. J’ai déjà la sensation bizarre d’être bousculée ? Comme essoufflée. Un tram repasse, le bruit dans le virage comme un déraillement…Des ongles sur un tableau noir…Je cherche le protocole, essaye de lire le plan, de trouver la direction. Je n’arrive pas bien à me repérer sur le plan : l’échelle est trop grande. Je ne suis pas du quartier. Je sors peu de nuit et encore moins dans des lieux inconnus. Presque jamais seule sauf pour motifs du type faire les courses ou quand je vais et rentre de l’aide aux devoirs au sillon.  Je n’ai pas l’habitude. Je suis déstabilisée je crois. Je n’arrive pas à me visualiser l’itinéraire et d’un coup je me trouve bien seule, isolée. Le parvis de la médiathèque est éclairé pourtant, une grande carte sur un panneau de la ville aussi mais je me sens bien vulnérable…Je me sens trop à découvert : je décide d’enchainer le pas. Commençons par marcher, ne restons pas statique ; bougeons après on verra.

Je marche, retraverse la rue, continue un peu plus loin ; je crois que je tourne un peu en rond en fait. Un peu perdue je me sens juste comme exposée, en inconfort et vulnérable. Au fond je marche sans savoir mais j’ai peur de me poser, de rester statique et de prendre le temps « exposée » de réfléchir posément à mon itinéraire. De toute façon il n’y a rien pour se poser : un magasin dans l’angle, non le rideau de fer est baissé. Les arrêts de tram : ça ne me semble pas approprié (il fait froid, j’aurais préféré un lieu en intérieur où l’on peut s’assoir ; et le long de la ligne ne m’inspire vraiment pas). Un café, un restaurant, un bar…rien. Donc je marche, un peu perdue, sans itinéraire réel : le seul but étant de ne pas me perdre plus que déjà et surtout de rester en mouvement.

Je passe devant un carrefour un peu isolé : un homme fait le coin ; seul. Il ne fait rien. Il semble guetter, en fait j’en sais rien ; c’est ce que ça m’évoque bref ça ne m’inspire pas je ne m’attarde pas. Je passe à l’angle d’un petit resto type kebab. Pas de femme, seuls à l’extérieur quelques hommes, le trottoir est étroit et un homme me laisse passer. Il a un marteau à la main !? J’ai flippé ! Il s’agenouille quelques secondes plus tard et se met à retaper une barrière ! A cette heure, ce n’est pas commun ; mon cœur s’est mis à battre fort. Il avait eu la politesse de me laisser le passage : je me suis sentie entre les griffes de Freddy ! Je souris de moi-même et rigole de mes peurs inconsciente tout en continuant à marcher comme pour digérer ma grosse frayeur. Moins drôle : un espace sombre, musique forte, un homme d’âge 40/50 ans je dirais, ralenti (sens inverse à ma marche) me dévisage, me jauge on dirait. Je fuis du regard et continue à marcher pour m’éloigner au plus vite. Je passe devant deux trois boutiques de quartier, elles font « craignosses » en fonction y’a toujours un ou deux types devant. Pas à l’aise je continue et ne m’attarde pas.

Bon il faut que je trouve des moments de pause du coup ; ah oui et puis mon rôle aussi du coup. Tant pis j’ai un peu peur : je trouverai un rôle la prochaine fois quand je reviendrai marcher et de jour cette fois-ci. Je vois une vitrine éclairée, tiens une femme à un bureau ; ça semble être une association de quartier. Je pourrais rentrer et trouver matière à parler quelques instants avec elle. Je ferais un moment de pause comme inscrit dans le protocole et surtout je pourrais souffler un instant. Je jauge le terrain, en plus je suis un peu timide aux premiers instants quand je ne connais pas, d’autres magasins se succède sur ce même bout de trottoir…et encore un ou deux types devant…Tant pis je passe mon chemin et mise sur la probabilité incertaine de trouver mieux ailleurs…

Une boulangerie comme un rocher auquel m’agripper ce sera ça.  Je peux y rentrer et acheter quelque chose, n’importe quoi. Elle est éclairée : la vitrine est large, franche. On voit bien l’intérieur : un boulanger, un client ; pas de surprise. A travers la vitrine j’aperçois comme une gamine des sucettes ; j’adore ! Je rentre : l’odeur du pain, de la fin de journée en boulangerie…L’odeur du pain qui n’est plus chaud mais qui était là… La farine un peu partout. Le boulanger un peu souillon de farine et décoiffé comme en fin d’une grosse journée ; le tee-shirt blanc qui n’est plus très blanc. Je me sens mieux. J’aimerais qu’il mette un temps fou à servir le client avant moi et ainsi que je respire juste, que je reprenne mon souffle et mes esprits…J’aimerais que le client d’avant soit lent, soit chiant et indécis de connerie. Le client qu’on évite avec hantise  comme à la caisse des supermarchés et qu’un code barre ne passe pas et que la caissière décroche son téléphone pour une référence et que le temps s’allonge…Le client qui change d’avis, pose, repose un article, pose et repose une question ; où quand la carte bancaire ne passe pas…Je souhaite et bénirais que mon prédécesseur soit tout ça à la fois, indécis et insolvable ! C’est déjà à moi : je suis encore sous apnée de mes stress tout proches ; c’est déjà à moi et je suis déçue. J’aimerais juste rester dans la lumière chaude et la chaleur rassurantes de cette petite boulangerie de quartier. Du coup je me sens comme encore un peu plus brusquée, encore, ah oui il faut choisir, vouloir acheter quelque chose… Oui j’ai choisi un lieu où il faut vouloir quelque chose. Et d’un coup ma sucette me semble inappropriée, l’heure, le quartier : je me déteste de penser ça…Tout ce que je déteste, tout ce que je défends, en un instant comme envolé…La nuit ajoutée à un quartier inconnu et j’ai régressé dans des peurs débiles, que je réprouve et repousse mais qui me ressurgissent à la figure et où je viens de plonger à pieds joints. Verdict : j’ai acheté une boule, des bonbons en sachet mais pas de sucette. Je me sens débile et nulle. Le boulanger est gêné il n’a plus de petit sac et me propose un sac à farine : je l’accepte et m’empresse de le porter dans la rue tout contre moi comme un bouclier « d’utilité ». « Oui, oui j’ai acheté du pain ! Regardez : j’ai le sac à pain et je rentre chez moi ! » C’est déjà à moi…Je voulais juste prendre mon souffle, respirer un peu, comme « poser mes valises »…et c’est déjà fini : je ressorts. De nouveau dehors, je ne me sens pas à l’aise, pas légitime et semble me cacher derrière mon sac à pain. Le rôle je ne l’ai pas trouvé : je me suis engouffrée dedans et je me le suis imposée toute seule. Je suis donc une acheteuse de pain, porteuse de sac à pain, qui n’avait pas besoin ni envie de pain mais d’une sucette. Je m’en veux et me trouve pathétique. Je me trouve ridicule, un peu faible et lâche. J’aurais aimé faire le récit d’une jeune femme libre de ces mouvements, exploratrice de l’espace public à toute heure. J’en suis loin et je mange frénétiquement mes bonbons tout en marchant vers « un point de sortie ». Je mastique ça me fait du bien. Je sens le goût du sucre. Je me concentre sur le futur bonbon qui sera ma victime de stress.

Je finis par me perdre (oui encore) dans une rue déserte plus pavillonnaire. Ça ne s’invente pas : personne et que des volets fermés. Rue déserte : j’ai l’impression du village fantôme type vieux Far West abandonné…Je marche, marche, marche : et 1ère fois je regarde dans mon dos. Marche, marche, marche et je « re-regarde » dans mon dos. Je crois que mon angoisse commence à se manifester concrètement. Je ne peux pas expliquer concrètement ni de façon raisonnée mais j’ai à cet instant T eu peur de « l’inconnu dans mon dos ». Et peu importe si 5 minutes auparavant  j’avais déjà regardé et que mathématiquement il était impossible que quelqu’un surgisse du ciel : il fallait que je vérifie. Un chien hurle au portail : j’ai fait un de ces bons ! J’adore les animaux mais celui-là je viens de le détester. Il m’a fait sursautée et je me retrouve expulsée du trottoir tellement que j’ai eu peur. Son aboiement m’a littéralement glacée. Décidément j’ai l’impression que cet environnement m’est hostile. Marchant plus loin : un petit chien au portail à nouveau « ah celui-là il va être mignon ». Il hurle de son aboiement comme une alarme de voiture. Décidément…

Je suis fatiguée, épuisée ; j’ai l’impression d’avoir fait un marathon…Et puis je commence à avoir froid. Je suis stressée : je veux rentrer et être chez moi ; avoir chaud avec mon chéri et mes animaux. J’ai pris deux trois photos et deux trois notes enregistrées mais je n’ai presque pas osé sortir mon portable tout du long. La crainte du vol, non pas vraiment en fait, c’est plus la peur que ça n’attire l’attention et que j’attire le regard. J’ai peur qu’on me prenne pour une journaliste ou un truc dans le genre et qu’on me prenne à partie (mon portable émet un flash en mode caméra qui ne passe pas inaperçu). Décidément je regarde trop la télé moi ! Le pire c’est que j’ai conscience du côté ridicule et injustifiée de cette peur mais trop tard elle m’a traversée…

Je remonte dans le tram fatiguée…J’ai eu froid. Je suis installée dans le tram et je viens de me rendre compte que je suis en sueur. Mon premier réflexe une fois assise : je me déleste de ce sac à pain qui m’encombre et me donne chaud ! Hier mon allié il me semble à présent inutile.

Je suis une acheteuse de pain et je n’ai fait que passer…

Photo Cécile B

 

MARCHE SENSIBLE NUMERO DEUX

CECILE – 27 ANS – SAINT-HERBLAIN / NON-HABITANTE

Un dimanche après-midi, le ciel est gris clair, la lumière est présente et les températures fraîches. Je suis à nouveau en transport. J’ai étudié le protocole : la peau que je décide d’habiter est celle d’une flâneuse, un brin photographe, curieuse de la bonne photo et de la découverte. Je veux volontairement habiter un rôle qui n’a qu’une unique fonction : le plaisir de ressentir, d’être là  et le plaisir pour soi. Je serai donc photographe amatrice, sans commande de photo en particulier ni thème à honorer. Je me suis levée tôt pour avoir une jolie lumière mais comme je suis un brin flâneuse il est déjà plus de midi je crois. Cette fois je me repère mieux, à croire que le jour me correspond davantage et que le choix d’un oiseau de nuit était trop loin de mes habitudes.

Je déambule : je fais le choix de ne pas choisir. Je m’intéresse à tout  et à rien de particulier à la fois. Premiers pas hésitants : ça me fait bizarre, être là pour seulement être là et ne rien faire… Je cherche un peu mes marques comme en quête d’une attitude à trouver. Est-ce prendre le temps ou ne rien faire de précis ou les deux ? Je ne sais pas vraiment mais ce n’est pas naturel et inné en tout cas. Comme je cherche mon rôle je cherche en même temps mes pas on dirait… Je prends délibérément mon temps et m’attarde entre les tours et aux travers des jeux pour enfants d’un autre temps… Mon nouveau jeu : je m’assoie volontairement à chaque banc (ou presque car je remarque d’ailleurs qu’il y en a pas mal et de toutes les formes et les textures). Je m’assoie, le seul et unique but : ne rien faire et attendre de voir l’habituel invisible. Je ne sors ni livre ni téléphone pour pianoter. J’observe : quel point de vue m’offre ce banc ? Un banc, deux bancs, trois bancs…L’absence de point de vue me frappe : une tour, une poubelle, un terrain vague… Mon regard se perd dans le manque de perspective, de relief, l’absence de point de fuite et de porte de sortie pour mon imaginaire. Le paysage de ces bancs est bien monotone, triste et morne. La logique m’échappe parfois : pourquoi ce banc a-t-il été collé de si près de cette poubelle, est-ce pour y sentir les effluves ? Ces bancs sont parfois poreux, d’un bois usé, qui s’effrite. Parfois froid : la pierre granuleuse qui les compose n’est pas conductrice de chaleur mais de la fraicheur ambiante. D’autres sont en pierre verte foncée, la pierre est comme attaquée et laisse entrevoir la couleur naturelle d’origine.

Je prends le temps et le temps porte ses fruits : je me mets à remarquer l’exception au décor. Cette exception qui dénote et devient inhabituelle mais joyeuse : un arbre en fleur. Une fleur par ci par là…Certaines sentent bon et certaines rien. Autant ma première marche m’avait fait remonter des images de blanche neige embourbée dans sa forêt maléfique autant là je me mets à penser à Alice où quand les fleurs chantonnent et se balancent en cœur. J’en photographie certaines, fais des gros plans, mon rôle de photographe amatrice me plaît. Ces visions de fleurs en gros plans me font penser au travail de G. O’keeffe. Loin d’être une spécialiste j’ai juste lu un article sur une rétrospective organisée sur son œuvre et ai parcouru l’instant de quelques pages son travail.

Je me mets aussi à remarquer la matière des bancs puis des portes et des jeux pour enfants. Où le pouvoir du temps et l’action des hommes ont laissé traces. Les portes sont usées, je voie la rouille et la saleté ; les jeux pour enfants me rendent un peu amère. J’ai fait plusieurs squares pour enfant : ils sont loin de faire rêver. Encerclés, tristes et froids ; sales et vétustes. Certains sont même « glauques » je trouve…Il y a une sorte de dragon qui ouvre sa gueule et où les enfants peuvent aller visiter ses entrailles…Quel est le concept au juste ? On dirait un sous-marins échoué là, hors –service, vieux et sale…J’ai en tête le jardin des plantes de Nantes ou d’autres squares où les enfants peuvent grimper ou jouer à tamiser le sable comme un chercheur d’or et ici ? C’est sans imagination et sans perspective. Je me demande bien comment ces espaces peuvent nourrir les rêves des enfants d’ici. Comment peuvent-ils créer du lien entre les familles…Ce square-là me fait penser au hall d’une prison où les tables en fer sont clouées au sol ; froides, rigides et glaciales. Je n’y amènerais pas mes enfants.

Photo Cécile B4 Photo Cécile B5

Ils sont déprimants ! Je n’ai pas d’enfant et aucune certitude sur ce domaine mais ça j’en suis sûre je n’irai pas ici.

Plus loin je remarque cette mosquée, sa porte est belle. La mosquée aurait besoin d’un petit ravalement mais même comme ça elle me plaît. Je vois trois enfants y entrer. Il n’y a pas de banc devant : dommage car je m’y serais bien arrêtée, assise et aurais aimé admirer cette porte et architecture différente. Sur certains bancs je lève les yeux au ciel et souvent les arbres se rejoignent au-dessus de moi  comme une ombrelle délicate ; c’est beau. Je repasse devant ce parvis de la médiathèque c’est dingue comme il me semble différent de jour. Je passe devant un bâtiment officiel : je remarque toutes ces grilles qui le protègent. Je trouve que ces grilles rappellent l’univers  carcéral : c’est un pôle médico-social. Plus loin je photographie un chiffre sur un mur puis dans la continuité les fenêtres du bâtiment constitué de ce même mur, là aussi ça fait prison. Je fais le tour : c’est un établissement scolaire. J’ai l’impression que cette architecture répond aux jeux pour enfants : froide et qui enferme. D’ailleurs la maison d’arrêt n’est pas loin. En continuant ma marche je croise par hasard la maison pour l’emploi (ça c’est un domaine que j’ai bien connu) : même tonalité triste et sans illusion. Je me pose devant une salle des fêtes, il y a comme des murs qui ornent son parvis : ils me font penser aux murs des noms du mémorial de la shoah à Paris… Ah plus loin une note de vie : un centre petite enfance avec un mur rose moderne. Je ne suis pas rose mais ce mur-là me fait du bien. Moderne : il m’inspire le relief et le mouvement. Je traverse des parcs aussi.  Ils sont traversant et ressemblent plutôt à des traits d’union de verdure qu’à de véritables parcs. L’un m’interpelle car ces bancs donnent sur des trous et terrains plats rien d’autres. L’autre me plaît un peu plus grâce à la vision cet arbre éventré par la nature et plein de relief.

Tout au long de cette flânerie, de cet exercice que je n’ai pas l’habitude d’expérimenter, ne rien faire et voguer pour le plaisir de ressentir : j’ai longuement observé traces, graffitis, empreintes… Comme des témoignages de vie laissés par des jeunes ou moins jeunes on ne sait pas. Ils ne me dérangent pas : ils me questionnent. Est-ce une tentative d’affirmation de soi ? J’y vois des prénoms, beaucoup de cœurs aussi. Ou est-ce de la rébellion ? Est-ce un territoire en colère ?

Photo Cécile 6

A les lire : qui sème le vent récolte la tempête ?

Il y a aussi ces rencontres où je découvre que la flânerie est une opportunité d’échanger et de rencontrer des gens gratuitement et sans intérêt ; je n’ai pas l’habitude. Mon métier se résume à des probabilités, du risque et de l’intérêt commercial ; on est loin de la relation naturelle et désintéressée…Je croise un chauffeur de bus : il n’est pas forcément négatif et évoque la souplesse, l’écoute et le compromis (moment de pause 4). J’échange avec cet habitant à sa fenêtre (qui au départ m’a interpellé de façon un peu brutale) nous débattons sur « ces sacs de merde » qui servent de bacs à fleurs et qui l’indignent (moment de pause 2). Je rencontre aussi trois bretons au-dessus du périf qui manifestent ! (le périf me saisit par le vent, le bruit de la vitesse des voitures qui passent et les klaxons. Ils klaxonnent tous en voyant ces bretons ; de l’affection surement). L’un est en kilt, chapeau et drapeau au bras comme un étendard « pour une Bretagne libre » ça ne s’invente pas  (moment de pause 3) ! Il y a aussi ces deux femmes « voisines de tours » là depuis longtemps. L’une vit seule et à trouver ce logement de justesse car les agences ne voulaient pas louer à une femme seule…L’autre habite chez son fils et raccompagne sa fille en bas des tours en fonction de l’heure. Conviviales, elles parlent aussi sans filtre, chacune avec son style et ses colères. Chacune promène son chien, je les interroge sur des possibles fêtes et rassemblement de voisins ; la seconde évoque presque avec nostalgie les grands ensembles et l’ambiance qui y régnait il y a 30 ans (moment de pause 1).

CCB.