Harcèlement: Le Haut Conseil à l’Egalité appelle à un plan national d’action pour dire stop sur toute la ligne

En janvier et mars dernier, Chris Blache, Sydney Baloue et Pascale Lapalud de Genre et Ville faisaient partie des personnalités auditionnées par la commission Violence de Genre du HCEFH à propos du harcèlement dans les Transports.

Hier était remis l’avis du Haut Conseil a été remis à la Secrétaire d’Etat Pascale Boistard.

Beaucoup de nos recommandations ont été retenues.  Vous trouverez ci-dessous le Communiqué de Presse du 16 avril 2015 et le lien vers l’Avis.

L'équipe de Genre et Ville avec la Secrétaire d'Etat aux Droits des Femmes Pascale Boistard

L’équipe de Genre et Ville avec la Secrétaire d’Etat aux Droits des Femmes Pascale Boistard

Voici quelques extraits de notre intervention:

Genre et Transports Publics

A Genre et Ville, plus que tenter de changer les autres, nous sommes convaincues de l’énorme bénéfice à se changer soi-même.

L’axe de recherche et d’actions que nous menons est donc moins dirigée vers une régulation des actions des hommes, même si elle y contribue, que vers une libération des actions des femmes et ou de tout individu quelle que soit son identité.  De personnes ne se reconnaissant pas dans un ordre codé que l’on pourrait qualifier de domination masculine mais qui relève plutôt d’une « Masculinité Hégémonique ».

Qu’est-ce qu’une masculinité hégémonique ?

Les sociologues et géographes Connell et Messerschmidt[i] la définissent ainsi : « La masculinité hégémonique n’a jamais été considérée comme allant de soi d’un point de vue statistique, car seule une minorité d’hommes peuvent s’en réclamer.  Mais elle est sans doute normative.  Elle incarne la forme la plus vénérée de ce que doit être un homme, elle impose à tous les autres hommes de se positionner par rapport à elle et elle légitime idéologiquement la subordination totale des femmes aux hommes ».

Pour compléter cette définition, les géographes Charlotte Prieur et Louis Dupont rajoutent : « Souvent confondu avec le patriarcat, ce concept permet de prendre la mesure du pouvoir normatif et de la masculinité dominante, tant sur les hommes que sur les femmes. »

Sur le plan de la pensée, de la réflexion, dans une logique à moyen et long terme, Genre et Ville se nourrit des travaux des chercheuses et chercheurs en Géographie critique, histoire, gender studies, women and men’s studies, LGBTQI, intersectionalité, qui étudient les marges afin de mieux éclairer la norme. 

Ce point est non négligeable au sens où ce à quoi nous nous attaquons ici, en l’occurrence le harcèlement sexuel, est souvent perçu et traité dans un prisme duel femme/homme.

Sortir du harcèlement, implique d’une certaine façon de se dégager de la dualité, des polarités, des oppositions binaires.  Les femmes sont victimes de harcèlement mais lesquelles ?  et toujours pour citer Prieur et Dupond, quid des féminités masculines, des masculinités féminines, des queers, des trans ? 

Croiser l’ensemble des disciplines à la recherche d’une solution à un problème commun est donc le socle qui nous permet d’analyser la mise en place et la pérennisation de pratiques constitutives d’inégalités et surtout de privation de liberté, ce qui est le sujet premier qui nous préoccupe aujourd’hui.

Notre réflexion implique également une grande vigilance vis-à-vis des actions mises en œuvre pour solutionner les questions d’inégalité, de sécurité. 

Comme indiqué dans un article du site  pop-up urbain[ii] du 24 sept 2013, il ne s’agirait pas, sous couvert de civilité et de civisme, de,

  • Renforcer les stéréotypes d’une part

Si l’on parle de mobilités « Faire la ville pour les femmes ne signifie pas fluidifier leur déplacement de la cuisine à la crèche… »

  • « Ou, pour les institutions, l’etat, [ou les transports publics], de récupérer la colère légitime des féministes et des femmes ou individus oppressées dans les transports, afin de policer un peu plus la société. De nous vendre un peu plus de surveillance, de panoptique, de flicage, sous des prétextes d’égalité.

Au-delà de ces considérations à moyen et long terme.  Quelles sont nos actions ?  Comment abordons-nous ce sujet épineux sur le terrain ?

Tout d’abord, en nous associant volontiers à toute initiative permettant de visibiliser le phénomène du harcèlement de rue.  Les campagnes de #stopharcelementderue, la campagne d’OLF dans le métro, ou encore les différents articles ou vidéo parus sur le menspreading ou le harcèlement, nous semblent autant de moyens qui, démultipliés, sensibilisent le public en général et arment mentalement et physiquement les victimes de harcèlement.  Donc nous nous en faisons les relais.

Ensuite, comme nous le citions en introduction, notre action est moins de nous préoccuper de l’hégémonie masculine, que de nous-même.  Nos actions visent donc à prendre place.

Un de nos chantiers, entamé depuis plusieurs années maintenant et qui s’intensifie depuis quelques semaines s’appelle « Même pas Peur ».  Pourquoi Même pas Peur ?  Parce que le harcèlement est un acte de domination territorial plus que sexuel.

Projet multidimensionnel, se déclinant à travers à la fois des actions terrain et des travaux de recherche, « Même pas Peur » propose de démonter nombre d’idées reçues qui présupposent la dangerosité d’un lieu.  De faire le point entre « sentiment d’insécurité » et « réalité  d’insécurité», de mesurer l’étendue de l’insécurité induite par la construction même de l’espace public.  D’encourager à « prendre place » dans l’espace public, quelle que soit son identité. Préalable indispensable à la préconisation de solutions.

A travers ce dispositif, il s’agit de:

  • Braver les injonctions à bien se tenir, à se protéger.
  • Affirmer sa place n’importe où.  Et pas seulement dans les lieux « dits anxiogènes ».
  • Reconquérir tous les espaces, tout le mobilier urbain. 
  • S’enhardir ! Prendre place et le donner à voir !

Notre objectif étant de relier la réalité, les ressentis, et aussi de déconstruire et reconstruire l’imaginaire. 

La régulation face au harcèlement se fera, bien évidemment par des campagnes d’information, mais surtout par ce que nous saurons mettre en place par l’imagination et la créativité.

Pour cette raison notre slogan pour 2015, « Même pas Sages ! » va dans la même direction. Foin des bonnes manières, refusant les injonctions, nous allons lutter pied à pied contre l’effacement, la discrétion, …

Ce sont donc des images de femmes en action que nous souhaitons voir apparaître sur les affiches, sur les murs, dans les transports…

Dernier point, Genre et Ville est aussi un observatoire qui grandit grâce aux expériences et aux bonnes pratiques relevées ailleurs. 

Sydney Baloue, urbaniste, membre de Genre et Ville, travaille actuellement sur ce sujet du harcèlement dans les transports, harcèlement des femmes, des homos, des trans au sein de son Master Urba à Sciences Po Paris /LSE Londres

Une des premières choses qu’elle a relevée en termes de sens civique, c’est la nécessité d’intervention.  Le grand bénéfice de la solidarité à retrouver, dès lors que l’on assiste à une situation de harcèlement.  Nous souhaitons donc que chacune, chacun participe à l’effort collectif en s’exprimant. 

Par ailleurs elle a relevé et inventorié un certain nombre de bonnes pratiques en Angleterre ou aux Etats Unis, dont la France, et les sociétés de transports en commun comme la RATP pourraient s’inspirer :

Bonnes Pratiques :

  1. La RATP, ou la Ville de Paris pourraient lancer un service de communication permettant aux personnes de signaler une agression, par téléphone ou sms.  Un système équivalent existe déjà  in Boston, in London (and all over the UK), and New York. Le signalement est un élément clef ! Les personnes doivent pouvoir avoir la possibilité de signaler une situation, de la décrire, d’envoyer une photo.
  2. Aller vers plus de courage civique est extrêmement important dans une campagne de service public.  On doit pouvoir promouvoir une loi tacite du bon SamaritainE, et promouvoir aussi une loi qui protège les personnes qui osent parler, càd trouver la juste passerelle entre information et délation ce qui en droit français contrairement au droit anglo-saxon est complexe.
  3. Londres a lancé un projet intitulé « Project Guardian, » qui s’attaque spécifiquement au harcèlement. Il s’agit d’un partenariat entre British Transport Police (BTP), the Metropolitan Police Service (« the Met »), the City of London Police, and Transport for London (TfL). Cette idée a été reprise sur un même partenariat mis en place à Boston. La RATP, la préfecture, et d’autres organismes pourraient coordonner leurs efforts de la même manière.
  4. Transport for London  produit un rapport annuel qui détaille spécifiquement les agressions ou harcèlement concernant les personnes LGBT, les femmes, les personnes non blanches dans le métro londonien.  Des études similaires existent déjà et doivent pouvoir se développer je pense notamment à l’étude biennale de l’IAU sur les transports en IDF.

Le lancement d’une campagne de service public dans les transports est un élément clef.  Et les mots sont extrêmement importants.  Dire les mots, montrer des photos, parler des genres, mais surtout sans victimisation. Ce point est très important à respecter, car en aucun cas il ne faut entériner l’image de victime, tout en appelant un chat, un chat.  La RATP doit prendre très au sérieux la terminologie et les images qui parlent de ce sujet.  Ne pas se cacher dernière des périphrases, dire les mots, et montrer la force des personnes harcelées.

En conclusion, le témoignage de la bloggeuse Sabrina[iv]

« Personnellement j’ai envie de me tenir comme JE veux et non pas comme il se devrait.
Quand j’étais plus jeune, ma petite taille et la musculature importante de mes cuisses m’empêchaient physiquement de croiser les jambes, hé bien pour paraître plus féminine, j’ai forcé mes jambes à se plier l’une sur l’autre pour pouvoir les croiser. Résultat : des genoux légèrement déformés et rentrés vers l’intérieur …
Alors désormais  je ne croise jamais les jambes, si je suis fatiguée je ne cherche pas à « faire bonne figure », bref, je me tiens comme j’en ai envie. »


[i] In Les espaces des masculinités sous la direction de Charlotte Prieur et Louis Dupont – 2012 L’Harmattan

[ii] Genre et transports publics : la guerre des territoires

[iii] http://www.metro.us/local/mbta-joins-global-fight-against-transit-sexual-harassment/tmWndh—74yBW3Ek8Gxk/

[iv] http://biopascher.wordpress.com/2013/10/10/une-fille-qui-se-tient-voute-cest-pas-joli/

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Avis relatif au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles dans les transports en commun : le Haut Conseil à l’Egalité appelle à un plan national d’action pour dire stop sur toute la ligne

Le HCEfh remet ce jour son Avis sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun à Madame Pascale BOISTARD, Secrétaire d’Etat chargée des Droits des femmes, en réponse à sa saisine commune avec Madame Marisol TOURAINE, Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes.

Le phénomène de harcèlement sexiste et de violences sexuelles recouvre une grande variété d’actes qui s’inscrivent dans un continuum des violences, dont certains sont punis par la loi (ex : injure), et d’autres non (ex : sifflement, commentaire). Toutes les utilisatrices des transports ont déjà été victimes, mais toutes ne l’ont pas identifié comme tel. Les jeunes femmes sont particulièrement concernées.

Le phénomène est violent et a des conséquences quotidiennes sur la vie des femmes, d’autant plus qu’elles représentent 2/3 des usager.ère.s des transports. Parce qu’ils suscitent de la peur, du stress, de l’impuissance ou de la colère, les agresseurs créent une pression psychologique forte, qui peut affecter la santé des femmes. Cette pression permanente entrave la liberté des femmes car en conséquence, elles accommodent souvent leur quotidien : trajets, modes de transport, horaires de sortie, attitudes ou tenues vestimentaires sont revu.e.s pour tenter d’y échapper. Le harcèlement sexiste et les violences sexuelles sont autant de rappels à l’ordre qui visent, consciemment ou non, à exclure les femmes de l’espace public.

Bien que massif, le phénomène est mal connu et largement minimisé ou normalisé. Dans ce premier Avis institutionnel sur le sujet, le HCEfh appelle à une action déterminée de l’Etat, des collectivités territoriales et des sociétés de transport. Il recommande un Plan national d’action « Stop au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles sur toute la ligne » qui repose sur 3 orientations et 15 recommandations :

  • ORIENTATION N°1 : Définir et mesurer le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans l’espace public, en particulier dans les transports en commun. La connaissance tant quantitative que qualitative du phénomène est encore trop partielle ;
  • ORIENTATION N°2 : Agir au niveau des opérateurs de transports, en adaptant les systèmes d’alerte déjà existants, en formant les professionnel.le.s potentiel.le.s témoins de violences, en expérimentant des solutions innovantes dans l’organisation des transports ou encore en étant vigilant.e.s aux publicités dégradantes pour l’image des femmes ;
  • ORIENTATION N°3 : Agir au niveau des pouvoirs publics afin de faire mieux connaître, reconnaître et reculer le phénomène, par une grande campagne nationale de sensibilisation, une meilleure application de la loi et par une éducation à l’égalité à l’école intégrant cette problématique.

Le Plan permettra de mieux connaître le phénomène, pour mieux le reconnaître et le combattre. Maillon clé de la liberté des femmes, les transports ne doivent plus être la chasse gardée des harceleurs, mais le véhicule de la mixité et de l’égalité.

Pour retrouver les 15 recommandations du Plan et l’Avis dans son intégralité : bit.ly/1JJVR95