« Marches Exploratoires » Sortir des questions de sécurité pour un meilleur partage de la ville

DSC_0539« Même pas peur » !

A Genre et Ville, nous partageons l’idée que le sentiment de peur des femmes dans l’espace public est une construction sociale et historique.

Dans une tribune publiée dans le journal Libération en Mars 2013, nous avions notamment évoqué notre interpellation de la Ministre Najat Vallaud Belkacem au sujet de la fiche « Conseils aux femmes » en ligne sur le site du Ministère de l’Intérieur, une notice qui rendait compte des dangers susceptibles d’être rencontrés par les femmes dans l’espace public « de par leur sexe et leur morphologie », et leur « recommandait : de ne pas faire état de leur statut de femme seule, de traverser l’espace public rapidement ou encore de ne pas se rendre dans des lieux déserts ».  Article qui semblait suggérer l’idée d’une vulnérabilité par « nature » des femmes.

En affirmant « Même pas peur ! », nous avons pris le contre-pied de cet article et des stéréotypes de genre qui tendent à affirmer que les unes seraient moins en sécurité que les autres dans l’espace public.  (Ce qui est contredit par les chiffres, car les hommes sont plus victimes d’agression dans l’espace public que les femmes, ce qui est d’ailleurs normal mécaniquement puisqu’ils y sont plus nombreux – en revanche les femmes y sont beaucoup plus victimes de harcèlement verbal).

Mais quel lien avec les Marches Exploratoires ?

Comme avec les Marches Exploratoires, l’exploration collaborative des territoires par le prisme normatif des genres est un élément clef de notre travail.  Compter, évaluer, comparer, mesurer, documenter font partie intégrante de notre méthodologie pour comprendre ce qui se joue dans l’espace public et privé.

Ce qui différencie notre démarche avec les Marches Exploratoires c’est que nous ne nous focalisons pas spécifiquement sur l’angle sécuritaire.  Car si cela nous semble un sujet avéré et souvent central dans la façon dont l’espace public est vécu, il nous parait aussi risqué parce « qu’enfermant ».  En effet, dès lors que l’on étudie un territoire uniquement via ce prisme, et en collaboration avec des partenaires identifiés « sécurité » que ce soient les services de police, la préfecture ou les référents sécurité des associations, comme c’est le cas actuellement, risque est pris de ne pouvoir s’extraire de ce débat, voire de ne trouver des solutions qu’à l’intérieur de ce contexte.  De ne pas pouvoir faire le « pas de côté » qui permettrait de trouver des solutions autres.

C’est la raison pour laquelle, nous confrontons les données collectées sur le terrain à l’étude de l’histoire et de l’urbanisme, aux textes et institutions, et les croisons avec l’ensemble des domaines (et des actrices/acteurs concernés) qui sont constitutifs de la ville (mobilités, temporalités, équipement, logement, loisirs, … ), ainsi qu’avec les expériences que nous pouvons voir émerger ici ou ailleurs.  C’est le croisement de l’ensemble de ces données et rencontres qui nous renseigne sur les mécanismes qui conditionnent la construction de la ville et de ses usages, et qui nous donne des indications sur le développement des dominations ou des peurs (ou sentiment de) sur les territoires.

Et s’il s’agit de déminer ces peurs, nous pensons qu’il faut être prudentEs avec les conclusions hâtives, les fausses bonnes idées et la mise en œuvre de solutions à court-terme qui peuvent avoir des effets pervers, voire même renforcer les stéréotypes.  Par exemple, en sanctuarisant des espaces pour les femmes, ce qui résout l’équation protection de façon ponctuelle, on n’adresse pas les questions de fond sur une domination genrée/masculine de l’espace public.

Autre exemple, une action légitime et commune dès lors que l’on veut lutter contre le sentiment d’insécurité, est de « sécuriser » les lieux.  Il s’agit souvent de renforcer les éclairages, de se protéger des agressions en bouclant les lieux de vie (grilles –codes), d’élargir et dégager les espaces afin de donner un maximum de visibilité, de nettoyer.  Les raisons peuvent être tout à fait compréhensibles puisqu’il s’agit à priori d’éviter les conflits et/ou agressions. Or, comme l’explique très bien l’architecte urbaniste Nicolas Soulier dans son ouvrage « Reconquérir les rues » « le mécanisme de défense que l’on croit opportun d’adopter peut s’avérer plus dangereux que ce dont il nous défend ».  Et en nettoyant les rues pour les rendre plus « sure », se produit simultanément un phénomène de stérilisation qui au final les rend souvent froides, vides, et anxiogènes.  Et dès lors que je ressens de l’anxiété, je vais souhaiter la mise en place de plus de mesures de « sécurisation », le cercle vicieux est lancé.

Nous partons donc du principe que si nous abordons la question de la lumière par exemple, il est intéressant de comprendre pourquoi elle nous rassure et comment elle est proposée dans l’espace public aujourd’hui, essentiellement par des faisceaux descendants de lumière jaune.

Le paysage nocturne de la planète depuis les satellites  qui renvoie à une géographie et une cartographie nouvelle, renforce l’idée que la modernité qui accompagne l’urbanité a « vaincu » le noir. La ville par essence est une ville « lumière » indépendamment de son statut de capitale  d’un territoire ou elle impose par son éclairage sa position hiérarchique en même temps que sa richesse. Dès 1860 le « bec de gaz » prend place au même titre que le banc au catalogue du mobilier urbain.  Il y a donc culturellement et socialement une demande pour repousser les ombres de la nuit dans l’espace urbain. Les « beaux quartiers »  étant plus clairs que les impasses populaires. cf la littérature Balzacienne ou celle de Zola qui construisent les stéréotypes que nous devons prendre en compte dès l’énoncé de cette thématique.

Dans les rapports sociaux de sexe, les perceptions et usages nocturnes des espaces publics, nous pouvons imaginer comment la lumière a construit à ce jour nos territoires et à travers elle, comment nous pouvons les modifier en redessinant ou pas le paysage.  Des expériences sur la lumière sont conduites un peu partout dans le monde qui permettent de « travailler » les ambiances d’un lieu.  On voit aussi que la création de zones sombres, au contraire de ce que l’on pourrait imaginer, ne provoque pas plus de délits.  Les chiffres montrent d’ailleurs que la grande majorité des agressions ont lieu de jour et dans des endroits familiers (Lieber Marylène, Genre, violences et espaces publics. La vulnérabilité des femmes en question).

En conclusion.

Il nous semble que si les politiques de la ville successives ne réussissent pas à résoudre les problématiques du vivre ensemble, c’est d’une part, parce que les solutions mises en œuvre se font souvent en « réaction » à une situation : je ressens un danger donc je tente de m’en protéger, et cherche des solutions de « protection ».  Plutôt qu’en « pro-action » : Comment cette situation s’est-elle construite ? Quelles actions pour penser l’urbanisme autrement ? Quelle démarche pour une utilisation mixte et apaisées des biens communs ?

D’autre part parce que la transversalité des actions, indispensable à la réussite de projets est souvent, pour des questions de budget et/ou de planning, sous-explorée, les projets se faisant en « silo » autour d’une problématique plutôt qu’en les croisant : Mobilité, sécurité, etc…

Enfin, parce que la simple question du vivre ensemble, d’un point de vue femmes-hommes est rarement posée.  Pas plus que n’est posée la notion de diversité en termes d’altérité.

 

Guide Méthodologique du Gouvernement sur les Marches Exploratoires

Centre Hubertine Auclert